L’avenir est devant nous. Mais que sera-t-il ? Allons-nous y trouver la reproduction des modèles anciens, ou l’humanité va-t-elle s’engager dans une voie radicalement nouvelle ? Le passé peut-il éclairer l’avenir ?
1/ Pouvons-nous nous contenter d’un monde fini ?
Du lointain des âges monte la rumeur de l’humanité en marche. Vers quoi, elle ne le sait pas elle-même, mais en marche. Cela commence par les milliers de générations sans visage dont le souvenir ne s’est pas transmis jusqu’à nous et qui pourtant ont accompli un destin prodigieux : Asiates traversant le détroit de Behring pour aller peupler l’Amérique, ancêtres des Huns galopant au travers des steppes en direction d’un couchant inconnu, navigateurs bravant la fureur des flots sur des radeaux de fortune pour assouvir leurs rêves de découverte. De tous ceux-là, les plus nombreux pourtant, il ne nous est rien parvenu sinon leurs descendants, nous-mêmes, qui portons au fond de nos consciences le souvenir confus de ce qu’ils ont été.
Puis apparurent ceux qui ne purent supporter de disparaître sans laisser de traces : chasseurs de Lascaux, bergers du Tassili, bâtisseurs de Stonehenge. Ceux-là aussi étaient en route, installés sur leurs terres pour quelques jours ou pour quelques années, et leur témoignage chargé de symboles évoque la splendeur des civilisations disparues. Tous nous appellent à eux sur la mer du temps, naufragés magnifiques emportés par la vague, et notre esprit frémit devant leur message mystérieux.
Longtemps après surgirent ceux qui laissèrent un nom. Comme ils furent chanceux, ceux-là qui disposèrent de l’éternité à leur guise, couchant leur testament dans une langue intelligible à tous : scribes du dieu Amon, chroniqueurs des Ptolémées, compagnons de Pythéas. Et que de noms merveilleux apparurent alors qui chantaient comme des cantiques : pays des deux fleuves, colonnes d’Hercule, Ultima Thulé, que de poésie dans ces époques lointaines où régnaient la cithare et le luth !
Enfin vinrent nos contemporains auxquels il appartint de marquer de leur empreinte les derniers territoires inconnus. Ce fut l’époque du Magasin Pittoresque et du Journal des Voyages, du docteur Livingstone et de René Caillié, avec les ultimes blancs géographiques dont ils furent les découvreurs : Tombouctou, les sources du Nil, les chutes du Zambèze, lieux mythiques qui nourrirent l’imagination de nos prédécesseurs…
Et voici que surgit notre temps de satellites et de télévision. Tout est connu, tout est délimité. L’objectif invisible de la caméra traverse nos vies tel l’œil de Dieu posé sur Caïn. La terre s’étend devant nous sans masque et notre existence mise à nu voit son mystère se réduire chaque jour davantage.
Faut-il donc nous résoudre à contempler un monde fini ? À l’évidence, non ! La race des hommes requiert un objectif plus vaste et son destin ne saurait s’arrêter à de si courtes perspectives. Toute l’histoire est là qui nous montre à quel point la conquête de l’inconnu lui est consubstantielle. Comme l’exprimait fort bien Emmanuel Berl (Emmanuel Berl, Essais, Julliard 1985) :
« Nous persévérons à vouloir la conquête des espaces intersidéraux, et n’y persévérerions pas moins si nous savions qu’elle devait s’avérer vaine. Ce voyage au bout de soi-même fait toute la valeur des cultures et des personnes… »
Mais à supposer même que, par un prodige si contraire à sa nature, notre espèce puisse se satisfaire d’une frontière immobile, la question se pose de savoir si elle en aura le loisir ou si, comme si souvent dans l’histoire, le rêve ne fera que s’accorder avec la nécessité.
2/ Il est temps, il est temps….
N’en déplaise aux optimistes de tous bords, il est fort à parier qu’à plus ou moins courte échéance, l’heure des comptes va sonner pour la planète Terre.
Parmi les signes avant-coureurs les plus évidents se trouve la tendance à l’accroissement rapide du nombre de ses habitants, et parmi les paradoxes les plus effrayants, le fait que cet accroissement soit inversement proportionnel à la prospérité des pays concernés.
Or cette tendance ne va se modifier que lentement. Sans doute s’agit-il de cette réaction vitale qui répond au besoin d’une communauté de s’affirmer par rapport à celles qui la dominent, économiquement ou culturellement. Les exemples des peuples d’Asie centrale russe, des Arabes du Maghreb ou des Noirs américains, pourtant de races et de religions différentes, sont là pour le confirmer. Immense est le réservoir des frustrations et immense donc le besoin de se compter : la revanche des berceaux ne date pas d’hier. Sauf catastrophe planétaire, l’augmentation de la population des pays pauvres, même ralentie, est inévitable pour longtemps.
Sans doute l’humanité sera-t-elle capable de faire face sans trop de dommage à un nouvel accroissement de son nombre. Il est pourtant probable que, conformément à la loi non écrite des espèces, au-delà d’un chiffre que nul ne saurait fixer, des mécanismes autorégulateurs se mettront en place. Ces mécanismes peuvent porter sur le comportement même de l’espèce ou sur son environnement.
En ce qui concerne l’espèce, des phénomènes de fragilisation encore insoupçonnés peuvent soudain apparaître. Qu’il s’agisse du stockage croissant de gênes négatifs dû au quasi-arrêt du processus de sélection naturelle, de l’éclosion soudaine de maladies nouvelles ou de réactions d’agressivité explosives liées aux fortes concentrations de populations urbaines, des processus d’autodestruction peuvent éclater brutalement. Peut-être sont-ce de tels phénomènes qui ont autorisé le développement soudain de la peste, jusque-là endémique, au Moyen Age, moment où l’on s’accorde à dire que la population de l’Europe avait atteint pour l’époque un niveau excessif. De même en est-il de certains conflits dévastateurs : expansion soudaine des empires mongols ou guerres européennes de la première moitié de ce siècle ; la phénoménologie des grands événements de l’histoire est encore dans ses balbutiements et il n’est pas certain que nous puissions faire l’économie de catastrophes de ce type. La dissémination du risque nucléaire et l’actuelle pandémie de sida peuvent faire réfléchir…
Quant à l’environnement, le problème n’est que trop réel. Le double phénomène de l’accroissement de la population mondiale et de ses exigences en matière de consommation d’énergie commence à porter atteinte à l’équilibre écologique de la planète. Couche d’ozone, effet de serre, tous ces mécanismes restent à démontrer de façon irréfutable, mais les faits sont là : accroissement de la teneur en gaz carbonique, départ dans l’atmosphère de quantités toujours croissantes de produits toxiques, tout ceci ne peut pas rester indéfiniment sans conséquences. Il semble bien d’ailleurs que les premières soient en voied’apparaître : la multiplication des catastrophes naturelles, le début de réchauffement climatique, la montée des océans sont là pour en attester.
Bien entendu, dans ce cas comme dans d’autres, il n’est pas interdit de penser que s’engagera entre l’humanité et les dangers qui la menacent la lutte éternelle de l’obus et de la cuirasse. Nous avons certainement quelque temps devant nous, mais la règle impitoyable de la nature va peser sur l’homme comme elle a pesé sur les espèces qui l’ont précédé et dont beaucoup ont disparu sans retour.
3/ Ouvrir la route…
Ces prémisses posées, la conclusion est claire : rêve ou nécessité, l’humanité va devoir se préparer à quitter son havre d’origine. C’est d’ailleurs ce qu’elle a commencé à faire, mais l’échelle de l’effort va devoir considérablement changer.
Quant aux planètes proches, Mars constitue un objectif crédible. Les moyens de l’atteindre, de s’y installer, voire de commencer à reconstituer sur place une atmosphère en vaporisant par de gigantesques miroirs solaires le gaz carbonique de ses pôles, permettant ainsi à l’eau d’exister en phase liquide et à la végétation de se développer, sont presque réunis (cf. À la découverte de la planète rouge, National Geographic Society, édition française, mars 2001). Voilà l’objectif à court terme qui mobilisera, soyons en sûrs, beaucoup d’enthousiasme. Il est certain que l’arrivée de cette « nouvelle frontière » va provoquer un fantastique engouement et accélérer les recherches. Mais au-delà ?
Sortir du système solaire paraît aujourd’hui largement chimérique. L’état de la science ne permet ni de réaliser ni même d’envisager une telle perspective, sauf à l’inscrire dans la perspective de voyages millénaires. Devons-nous pour autant renoncer à cette idée?
Il ne nous semble pas. Car l’avenir de l’humanité exige que l’obstacle soit franchi et il le sera… Sans appeler au secours les auteurs de science fiction, gageons que par un biais ou par un autre, l’humanité s’affranchira des frontières que lui fixent aujourd’hui les lois connues de la physique. Certes cette idée choque nos habitudes, mais souvenons-nous que la terre a été plate avant d’être ronde, que Galilée faillit y gagner le martyre et que l’idée même de changement fait horreur à notre conservatisme instinctif. Si l’on admet que tous les cinquante ans, la science fait aujourd’hui autant de découvertes que durant tous les siècles précédents, il n’est pas besoin de beaucoup d’imagination pour comprendre qu’en quatre générations, nos descendants nous aurons relégué au rang d’estimables primates.
Voici donc la perspective qui semble la plus vraisemblable. Pour être fidèle à sa nature et devant l’apparition de problèmes croissants, l’humanité va se mettre en route. Encore faut-il qu’elle soit pourvue du bagage spirituel adéquat. N’oublions pas que par-delà la recherche de l’or et des épices, Christophe Colomb emmenait avec lui la Croix. Même si l’usage qu’il en a fait a été plus que discutable, elle a fourni aux conquistadores plus qu’un alibi : une raison d’affronter la mort au nom d’une foi qui les dépassait.
Tel est bien le problème qui se pose à l’humanité d’aujourd’hui. Les religions héritées du passé, pour magnifiques qu’elles aient été s’épuisent dans d’absurdes concurrences et ne sauraient répondre au besoin de nos descendants en route vers les étoiles. Le dépassement des doctrines existantes et l’apparition d’une approche nouvelle s’imposent. Mais celle-ci doit absolument éviter le piège dogmatique des doctrines précédentes, s’agissant à tout le moins des trois monothéismes. Tel est bien l’objet des trois essais consacrés à ce sujet qui s’efforcent de définir les voies d’une « recherche toujours ouverte » et d’un « hommage montant » vers un univers spirituel dont la finalité restera éternellement mystérieuse, mais dont la splendeur nous éblouit depuis le commencement de la conscience humaine.
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* Vers une nouvelle spiritualité : Éditions de Paris, Max Chaleil – 2004.
Lettre à un ami musulman : Éditions de Paris, Max Chaleil – 2006.
Éclats de vie suivis de Méditation : Éditions du huitième jour – 2009.
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