Cet essai est la suite de Vers une nouvelle spiritualité publié en 2003 ou l’auteur se penchait sur la question des antagonismes entre les religions et concluait à une impossible réconciliation ainsi qu’à la nécessité de nouveaux schémas de pensée.
Guylène Dubois d’arrêt aux pages a rencontré Gilles Cosson
Gilles Cosson, fut l’un de nos invités lors du Forum Laïcité, qui s’est déroulé au Salon du livre de Paris, du 18 au 23 mars 2005. Nous avons échangé avec lui, autour de son dernier livre, Lettre à un ami musulman.
AAP : Votre livre Lettre à un ami musulman, suivi de Une spiritualité pour notre temps a donc deux titres, mais il est constitué de trois livres. J’ai lu le premier comme une confession de foi ; il annonce le troisième qui propose une nouvelle pratique spirituelle. Le second, est le coeur de l’ouvrage, le motif même de cette publication, votre relation à l’islam. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’agen-cement de cet opuscule ? Quelle est la partie la plus importante pour vous ?
GC : Je crois que le livre ne saurait se comprendre sans l’enchaînement des faits qui s’y rapportent.
Après la publication de Vers une nouvelle spiritualité, chronique d’une catastrophe annoncée, j’ai reçu de nombreuses lettres de lecteurs musulmans avec lesquels s’est engagée une correspondance prolongée qui se poursuit aujourd’hui encore. Leurs critiques, toujours formulées de façon courtoise, portaient sur la présentation qui avait été faite par moi de l’islam, selon eux exagérément critique. Au cours des échanges qui ont suivi, j’ai alors bénéficié de l’envoi en plusieurs fois de plusieurs centaines de pages de textes, insistant toutes sur l’esprit d’ouverture de l’islam et sur l’oppression physique et intellectuelle, que celui-ci subissait de la part de l’Occident. Dans le même temps, des lettres reçues de lecteurs français me demandaient de préciser les éléments clefs de la recherche que je préconisais en insistant sur son caractère élitiste et jamais achevé ainsi que sur l’insuffisante explicitation de la vision du monde ou des pratiques afférentes. Je me suis donc résolu à répondre aux premiers dans une lettre ouverte qui résumait les principales idées échangées et à préciser un peu plus pour les seconds les termes de la quête que je suggérais, ce qui me contraignait à reprendre sous une forme résumée le livre précédent, compte-tenu du caractère récent de sa parution.
Je crois que les deux parties sont donc pour moi d’égale importance. La partie Lettre à un ami musulman est plus actuelle dans la mesure où elle conteste (avec l’estime voulue) la notion de Mahomet « sceau de la révélation » qui est l’essence même, le point dur de la relation des autres religions du Livre avec l’islam. L’idée même de la « fin de l’histoire » religieuse qui est la conséquence de cette certitude est clairement incompatible avec l’esprit d’ouverture nécessaire au dialogue acceptant l’autre non pas comme un attardé, mais comme un égal. Or je suis malheureusement convaincu que si l’islam est prêt . Or je suis malheureusement convaincu que si l’islam est prêt sous la pression de la modernité à réviser certains de ces préceptes (pour l’essentiel ceux qui touchent à la vie civile), il n’abandonnera jamais l’idée centrale qui fait du Coran un livre « incréé » qui marque la transmission directe par Dieu à l’homme, au travers de Mahomet, de la doctrine monothéiste, une fois pour toutes et pour toujours. D’où pour moi la certitude, comme ce fut le cas plusieurs fois dans l’histoire, qu’il ne sera possible de sortir de cette contradiction insoluble que par le dépassement, c’est à dire l’évolution vers (le retour à) un esprit religieux conçu comme le doute créateur d’une relation toujours ouverte avec Dieu (cf infra :§ 6) Ceci constituait une raison supplémentaire de préciser vision du monde et pratique de ce que j’ai appelé «l’universalisme » (pour bien indiquer la relation nouvelle avec l’univers de l’homme contemporain susceptible de se lancer assez vite, que ce soit par passion scientifique ou par obligation, dans la conquête de l’espace). Cette deuxième partie a donc un double but : insister auprès de l’islam sur le fait qu’il ne saurait y avoir de « fin de l’histoire » religieuse et préciser à ce propos le pourquoi et le comment de la « recherche toujours ouverte » que je préconise. À noter que celle-ci diffère on ne peut plus clairement de tout esprit de secte enfermant ses adeptes dans une doctrine fermée.
AAP : Comment faites-vous le lien entre votre proposition d’une nouvelle spiritualité et la réforme de l’islam que vous préconisez ?
GC : Il s’agit de la conviction que l’issue de conflits religieux ne peut se trouver que dans le dépassement et non dans la « réforme ». Car celle-ci met en jeu la modification de coutumes dans lesquelles le « tribal » rejoint le religieux et comme le remarquait déjà Tocqueville, on peut presque tout changer sauf l’âme des peuples. Il est plus facile de proposer une approche nouvelle que de modifier structurellement l’existant.
AAP : Le constat du vécu du spirituel que vous décrivez semble émaner d’une richesse de rencontres, de voyages, d’échanges « interreligieux ». Quel est ce chemin personnel qui vous a conduit à écrire cette réflexion et cette méditation ?
GC : Le vécu spirituel est né de la connaissance approfondie qui a été la mienne (en tant que membre du directoire de Paribas en charge des participations industrielles ou président de sociétés industrielles) du monde contemporain et de la contradiction ressentie à cette occasion avec mes aspirations spirituelles (au sens large). Cette contradiction m’a amené à rechercher une désintoxication périodique au travers de la solitude et des rencontres imprévues avec des gens souvent très simples : chameliers, muletiers, guides de montagne, moines tibétains, voire conducteurs de yaks et plus tard infirmiers (ères) à l’occasion d’accidents qui m’ont amené à plusieurs séjours prolongés dans les hôpitaux. Ce sont ces voyages qui m’ont permis de produire une émission avec Philippe Lapousterle sur les « peuples nomades de montagne » (sur Europe I voici sept ou huit ans) et c’est au travers de ces contacts et de nombreuses lectures (dont celles de Jacques Ellul dont j’ai toujours apprécié l’esprit contestataire et novateur) que s’est formée peu à peu la « doctrine » dont je rends compte dans le livre. Je ne saurais oublier à ce sujet les quelques moments de plénitude (autosuggestion ?) que j’ai rencontrés dans quelques lieux particuliers (volcans islandais, lacs tibétains, déserts africains) ou à l’écoute de certains morceaux musicaux (en particulier la musique d’inspiration baroque : Monteverdi, Gabrielli, Schütz) dont il m’est impossible de rendre compte autrement que sous la forme poétique tant ils ont été intenses.
AAP : Vous terminez cette première partie, qui annonce la troisième par une proposition d’une spiritualité adaptée à notre temps, dont vous donnez les caractéristiques suivantes : modestie, contemplation, et écoute. Pouvez-vous expliciter ces valeurs ?
GC : La modestie, la contemplation et l’écoute sont pour moi les voies d’accès privilégiées au monde invisible. La modestie car devant Dieu, il n’est possible de se présenter qu’avec une confiance qui se situe au-delà de toute faculté de compréhension humaine. Pour s’en remettre à Lui totalement, comme j’ai eu le bonheur de le ressentir quelques fois dans ma vie, il faut tout abdiquer et en même temps tout accepter Sa présence nous emplit alors d’une joie ineffable en même temps que du sentiment de notre insignifiance.
Contemplation/méditation/écoute parce que nous devons nous arrêter sur la route et prêter l’oreille. Le bruit envahissant du monde d’aujourd’hui est tel qu’il peut masquer toute présence de Dieu. Comme le dit Ellul, « le Dieu de la parole ne se révèle plus et ne se fait plus entendre ». Il faut faire silence, provoquer en nous le calme intérieur (d’où les « recettes » de la troisième partie en matière d’environnement de la méditation), prier, prier encore, douter, espérer, attendre. Mais quelle joie alors lorsque, dans le silence retrouvé, surgit l’intuition de la Présence, la certitude de na pas être seul…Ces instants-là illuminent toute une vie et ce fut le cas pour moi. Pardonnez-moi cette immodestie, mais cela doit être dit.
AAP : Vous insistez beaucoup sur l’ijtihad, analyse critique de l’islam. De qui peut-elle venir ? Des théologiens ? Des pratiquants ?
GC :« L’ijtihad » dont je suis heureux de voir que Tariq Ramadan dans un article du Monde paru avant-hier (30 mars 2005) préconise le retour (j’ai eu l’étrange impression, évidemment fausse, qu’il avait lu mon livre), n’est rien d’autre que l’analyse critique à laquelle se sont livrés les exégètes de l’islam de la grande époque (Averroès, Avicenne etc). C’est une démarche essentielle qui replace le Coran dans l’époque de sa parution et en justifie donc l’interprétation. Mais, s’il faut saluer la recommandation (qui relève plus des théologiens que du pratiquant de base), il ne faut jamais oublier qu’il importe d’aller plus loin en acceptant l’idée (ce qui est le cas des chrétiens d’aujourd’hui) que toute révélation (en l’espèce pour l’islam celle de Mahomet) s’inscrit dans l’histoire, une histoire toujours ouverte vers le futur, donc dans une quête religieuse en devenir perpétuel et non fermée une fois pour toutes (cf supra). Là est la véritable difficulté et l’Occident ne doit pas être dupe de ce qui peut n’être qu’une démarche de diversion.
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