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Photo du rédacteurGilles Cosson

Le roman historique : démarche

Conférence à la bibliothèque de l’école polytechnique


Christian Marbach m’a proposé de vous parler d’un genre littéraire bien connu, mais dont l’analyse a rarement été faite : le roman historique. Quelle est sa démarche fondatrice ? S’agit-il d’une tentative romanesque à part entière ou d’un simple avatar de la reconstitution historique, telle la peinture minutieuse d’une scène de bataille ou d’une chaumière paysanne ? L’auteur n’est-il qu’un metteur en scène sans parti pris ou se sert-il de son texte pour exposer son point de vue, voire pour tenter d’influer sur les événements ?


Questions intéressantes qui m’ont été posées sans doute parce que j’ai eu le bonheur (le malheur ?) de publier plusieurs ouvrages de ce type.


Il est clair qu’une réponse à ces interrogations ne se conçoit pas sans une rétrospective du genre. Ce sera la partie analytique de mon exposé.


Mais la réponse passe aussi par l’expérience propre de l’auteur, et ce sera la deuxième partie, beaucoup plus personnelle…


Première partie : Rétrospective


Pour commencer, posons-nous la question : qu’est-ce qu’un « roman historique » ? Certes, il serait confortable de dire que sera considéré comme tel, toute œuvre à vocation littéraire mettant en scène des personnages afférents à une époque où l’écrivain n’était pas encore né, mais est-ce bien exact ? Pour prendre un exemple, la bataille de Waterloo vue par Stendhal dans la Chartreuse de Parme comme par Hugo dans les Misérables ne fait-elle pas partie du genre dans la mesure où l’histoire, même mise en scène par des romanciers qui l’ont vécue, y joue un rôle important ? Ou, pour prendre un autre exemple, les Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar n’en constituent-elles pas une sorte d’avatar philosophique ? La difficulté de trouver des limites précises apparaît aussitôt. Je vous propose donc de procéder par exclusion et de retenir l’idée que ne sera pas considérée comme roman historique toute œuvre où l’histoire, qu’elle soit support de l’action ou des idées, ne joue pas dans l’ouvrage un rôle essentiel. Ceci exclut beaucoup d’ouvrages que le recul du temps fait parfois considérer comme « historiques » et pour n’en citer qu’un le célèbre « Quatuor d’Alexandrie » de Lawrence Durrel qui met en scène la société égyptienne de l’entre-deux guerres échappera donc à cette qualification dans la mesure où il s’agit avant tout d’un roman psychologique.


1/ Origines


Le roman historique prend sa source en des temps très lointains. Il naît œuvre d’imagination, se référant à un passé plus ou moins mythologique mais, dès le début, porteur de réflexion sur la destinée humaine. Je sais bien que les puristes vont me le reprocher mais est-ce faire injure à Homère que de le considérer comme le créateur inspiré du genre ? L’Iliade en particulier, épopée à contenu protohistorique (la guerre de Troie) ne relève-t-elle pas de cette définition ? Car les deux paramètres essentiels, relation épique et volonté de l’auteur (des auteurs ?) de tirer la leçon des événements, sont déjà présents. Voilà en tout cas un beau thème de controverse…


Sautons maintenant une très longue période, peu propice à l’œuvre romanesque (on lui préfère dans l’ensemble le livre d’inspiration religieuse, philosophique, morale ou satyrique, les églises étant peu favorables à l’œuvre de fiction profane), et approchons nous des temps modernes. Il est intéressant de noter que le roman en général et sa branche historique en particulier, vont croître et prospérer là où survient l’affaiblissement de la religion « officielle ». Ce n’est pas un hasard si le roman de mœurs ou historique prend son essor en Occident à l’époque de l’Encyclopédie.


Pour illustrer mon propos, je vais maintenant procéder à une rapide revue de quelques auteurs en m’excusant par avance d’un choix forcément arbitraire.

2/ Précurseurs


Commençons donc par ceux qui couvrent grosso modo la période 1750/1850.


  • Walter Scott (1771/1832) traite au départ de légendes, puis se penche sur une histoire largement réinventée et magnifiée, celle de l’Ecosse du Moyen Âge : « Ivanhoé », « Quentin Durward », etc.


  • Fenimore Cooper (1789/1851) né aux Etats-Unis, est l’illustrateur nostalgique de la légende indienne avec son « Dernier des Mohicans ».


  • Victor Hugo (1802/1885) fait de longs détours par le roman historique avec « Notre Dame de Paris », voire, nous l’avons dit, avec « Les Misérables ».


  • Alexandre Dumas (1802/1870), auteur fécond, voire prolifique (il est vrai qu’il se faisait beaucoup aider) crée ses immortels « Trois Mousquetaires » et autres « Dame de Montsoreau »…


Constatons que, dans cette première période, le roman historique ne brille pas par le souci d’exactitude, et il est en cela l’expression de son temps. L’histoire n’est pas une science, elle est matière à illustration d’une thèse. La reconstitution est assez fantaisiste. Le roman historique est avant tout une œuvre d’imagination destinée à utiliser le recul du temps pour magnifier un peuple ou des individus.


3/ Modernes (1850 à nos jours)


Le souci d’exactitude fait peu à peu son apparition, l’un des premiers à en faire preuve étant sans doute Tolstoï (1828/1910) dont l’immortel « Guerre et paix » marquera des générations par la vie qui habite ses personnages mais aussi par son souci d’interprétation des événements. Le romancier cherche à transmettre non seulement sa sympathie pour des personnages ou son admiration pour de nobles caractères, mais une vision quasi messianique de l’histoire des hommes, les passages philosophiques n’étant pas d’ailleurs pas forcément les plus convaincants…


Il n’est pas indifférent de noter que la recherche de l’exactitude dans le roman historique accompagne les grandes découvertes archéologiques du temps (fouilles de Babylone, taureaux de Khorsabad, ruines de Troie, déchiffrement de l’écriture cunéiforme). L’histoire prend soudain une réalité tangible, elle passionne le grand public et échappe à la légende pour pénétrer dans le quotidien. Le retour aux sources s’impose comme une façon pour les peuples de se forger une conscience collective nourrie à des sources historiques sérieuses.


Une série de grands romanciers du vingtième siècle avec pour commencer deux grandes romancières scandinaves, vont illustrer cette thèse :


  • Sigrid Undset (1882/1949) avec son chef d’œuvre « Christine Lavransdatter », met en scène une femme indomptable de la Norvège du Moyen-Âge, admirablement recréée avec ses mœurs patriarcales et son environnement religieux.


  • Selma Lagerlöf (1858/1940) et sa «Légende de Gösta Berling », mais aussi « Jérusalem en Dalécarlie », campe le XVIIIème et XIXème siècle suédois, avec ses rudes coutumes campagnardes et déjà des personnages de femmes fortes.


  • Le prince de Lampedusa (1896/1957), avec la naissance de l’Italie moderne à l’époque du Risorgimento, crée son immortel « Guépard » méditant sur la ruine inéluctable des traditions aristocratiques.


  • Ismaël Kadaré met en scène l’Albanie d’avant et pendant la période ottomane dans son « Pont aux trois arches » et autres « Niche de la honte ».


  • Robert Merle produit au fil des années sa série prométhéenne consacrée au Périgord de la Réforme.


L’histoire devient le support de la philosophie personnelle de l’auteur, souvent mise au service de la mémoire collective d’un peuple, mais toujours dans le respect des faits historiques.


4/ Tendances contemporaines


Il me semble que l’époque actuelle est fortement marquée par une mode, celle de l’Antiquité lointaine, voire de la préhistoire, comme si le retour aux sources de l’humanité en général, permettaient aux hommes de notre temps, parfois déboussolés par la rapidité des évolutions qui leur sont imposées, de reprendre leur souffle. À titre d’illustration de cette thèse, on peut citer :


  • La romancière américaine Jane Auel, avec ses « Enfants de la Terre », œuvre centrée sur la cohabitation complexe entre l’homme de Neandertal et celui de Cro-Magnon, mais nourrie aux meilleures sources scientifiques.

  • Nika Waltari, avec « Sinoué l’Egyptien », « Le serviteur du prophète » et autres ouvrages


  • Christian Jacq et sa longue série consacrée aux pharaons.


Avant de tirer une synthèse provisoire de cette rétrospective et puisque nous sommes entre scientifiques, posons-nous une dernière question : le roman historique s’est-il penché sur le destin d’une entreprise industrielle, d’un entrepreneur, ou même d’un savant ? Force est de constater que le monde romanesque et celui de l’économie ou de la science ne font pas très bon ménage, peut-être parce que la fiction et le domaine du réel, à fortiori celui de la science exacte, ne présentent pas d’affinité particulière l’un pour l’autre.


Deux titres viennent pourtant à l’esprit : « Les Buddenbrook », le gros roman consacré par Thomas Mann à une famille d’armateurs du Nord de l’Allemagne, et « l’Oeuvre au noir » de Marguerite Yourcenar dans laquelle celle-ci se penche avec le talent qu’on lui connaît sur les interrogations d’un médecin alchimiste face aux bouleversements de la Renaissance.


Pour résumer, plusieurs conclusions semblent se dégager :


  1. Le développement progressif du souci d’exactitude est patent, souci qui vient compléter l’étude des caractères et la glorification des peuples. Comme dit plus haut, la raison en est sans doute à chercher du côté des grandes découvertes archéologiques et du développement de l’histoire en tant que discipline scientifique, par opposition à l’histoire interprétative du début du XIXe siècle. Le plaisir de la reconstitution aussi exacte que possible est clairement perceptible chez plusieurs auteurs qui poussent la minutie très loin, avec le danger de voir l’histoire proprement dite prendre le pas sur l’étude des caractères. Mais ceci n’est pas forcément un handicap, le lecteur cherchant avant tout à se replonger dans l’atmosphère du temps.

  2. Le choix de périodes critiques, facteurs favorables au dépassement de soi, apparaît fréquent. La « mise sous tension » des héros au travers des drames de l’histoire permet de faire face aux angoisses existentielles de chacun par des prouesses physiques ou morales impressionnantes. L’auteur se replonge avec délices, et avec lui le lecteur, dans les moments tragiques du passé, vecteurs de sublimation de l’individu.

  3. La part intellectuelle, philosophique, voire religieuse varie beaucoup selon les auteurs et ceci indépendamment de l’époque de rédaction : faible chez Dumas, elle est forte chez Tolstoï et très forte chez Sigrid Undset qui se sert d’une héroïne d’exception pour exalter les valeurs féminines en même temps que le caractère fondamental de la spiritualité.


Bref, l’œuvre reflète le tempérament propre de chacun ce qui n’est pas surprenant, mais les partis pris, comme le style adopté, reflètent ceux de leur temps. À ce titre, la science-fiction, genre apparu à la fin du XIXe siècle, peut à mon avis être perçu comme un avatar du roman historique (celui-ci se projetant dans l’avenir en quelque sorte), avec le même souci affiché de « l’exactitude » scientifique. Dans cette mesure, il me semble que Jules Verne pourrait sans difficulté être considéré comme un grand romancier de ce type.


Mais j’arrête là. Retenons simplement que le roman historique comme la plupart des œuvres humaines, porte la marque de l’époque qui l’a vu naître. Telle sera la conclusion de ma première partie, conclusion qui incline à la modestie.


Deuxième partie : Un point de vue personnel


Je dois maintenant m’excuser pour ce qui va suivre. J’étais en effet devant un choix impossible : ou bien je restais dans les généralités sur le roman historique avec le risque d’être vite ennuyeux, ou bien je faisais un détour par une personne, moi-même, avec le risque que ceci soit perçu comme prétentieux. Ce risque, j’ai décidé de l’assumer : d’abord parce qu’il m’a semblé que c’est ce que vous attendiez de moi, ensuite parce qu’il est plus amusant de dévorer à belles dents un tout petit auteur vivant que de rendre l’hommage obligé dû à de grands morts.


Si je me replonge donc dans la démarche qui m’a mené à l’écriture historique, il me semble que j’y retrouve beaucoup des ingrédients précédemment décrits.


D’abord le goût de l’histoire avec ses événements captivants et ses personnalités d’exception. Ensuite, et dans la mesure où l’époque que nous avons traversée n’a que peu favorisé la « mise sous tension » des individus au travers d’épisodes critiques, le besoin de dépassement, celui de toucher les limites que la vie quotidienne en temps de paix ne permet pas de mettre en lumière. Ceci pousse à la recherche de sensations fortes. N’étant pas capable des exploits qui s’expriment dans l’alpinisme de l’extrême ou la navigation solitaire, difficilement compatibles par ailleurs avec un métier prenant et une famille, je me suis contenté de rechercher sur les grands chemins de ce monde l’émotion et parfois le parfum de risque que l’existence ordinaire, si intéressante qu’elle soit, ne m’offrait pas.


La première étape de ce cheminement a donc été de voyager dans des endroits quelque peu exotiques : passant des rivières à gué en Laponie, découvrant des huttes de trappeur abandonnées en Alaska, dormant sous les tentes des nomades Tcherkesses dans le Taurus, parcourant les hautes vallées du Zanskar ou du Népal, franchissant des cols tempétueux au Tibet, au Pamir ou en Patagonie. Je passe sur le soin que je mettais à cacher ces excès à Jacques de Fouchier ou à Pierre Moussa dont la sollicitude paternelle à mon égard n’aurait sans doute pas été jusqu’à bénir de pareilles excentricités. Et pourtant que de richesses dans ces souvenirs ! Rien ne saurait remplacer dans ma mémoire le bruit étouffé de la neige tombant sur nos tentes, autour du lac Namtso, à 4700 mètres d’altitude au cœur du Tibet, le vent dans les défilés des Nyanchen Tangla, ou la vue de la mer d’Islande depuis les solitudes enneigées du Vatnajökull ! Accompagnaient ces impressions vivaces la découverte de la très ancienne histoire de peuples encore authentiques, survivant souvent dans de hautes montagnes, avec leurs sanctuaires entourés de piétés aussi diverses que sincères : guides touaregs tournés vers La Mecque, pèlerins tibétains avançant au rythme de leurs corps couchés, solitaires de l’Himalaya hélant le voyageur du haut de leurs ermitages impossibles…. Autant d’émotions inoubliables !


La deuxième étape du cheminement a alors été la tentation classique : présomption, orgueil, ou simple folie, chacun appréciera, de sauver d’une disparition certaine quelques-unes de ces impressions vécues, de tenter de transmettre un peu de ces expériences, de leur beauté, des personnages extraordinaires rencontrés, des sensations éprouvées.


J’ai donc commencé à écrire sur le tard en ne donnant à l’histoire au début qu’une attention quelque peu distraite, sans doute parce que cela nécessitait moins de travail et que j’avais très peu de temps… Ce fut « Arenna », un livre qui retraçait le déclin de l’empire byzantin finissant en même temps que le calvaire de l’Arménie en butte au déferlement mongol. Une nuit dans le cimetière d’une église arménienne ruinée, en Anatolie orientale, en avait fourni le levain. Ah cette nuit au milieu des vestiges du génocide !, les cris des bergers dans l’obscurité, les murs rouges au soleil levant… ! La lutte, homérique, entre deux des plus fortes personnalités du temps : Tamerlan et Bajazet, m’en fournit le cadre épique. Tamerlan, contrairement à Gengis Khan, n’ayant laissé que peu de souvenirs historiques vérifiés (Zafer Namé, relation de Luis de Clavijo pour l’essentiel), me facilita une relation quelque peu laxiste.


Et là, j’ai découvert pour la première fois que les personnages, une fois mis en place, prenaient l’auteur par la main, qu’ils le conduisaient, qu’ils acquéraient une vie propre avec sa logique, ses contraintes et ses contradictions. Beaucoup de gens m’ont posé la question : comment avez-vous conçu le plan de vos ouvrages ? Je dois répondre en toute honnêteté : ce n’est pas moi qui ai conçu la trame d’aucun roman, ce sont les romans eux-mêmes qui ont construit leur trame au fil de leur avancée. En dehors du souhait de relater quelques émotions qui avaient compté pour moi, je n’avais pas en commençant la moindre idée de ce que serait l’intrigue, elle s’est toujours construite chemin faisant.


Puis j’ai eu honte de ma fantaisie et le souci de l’exactitude historique m’a envahi. Ce furent « Les Taureaux de Khorsabad », centrés sur les lettres authentiques du consul de France, Victor Place, redécouvrant les fameux taureaux assyriens à l’époque de la guerre de Crimée, lettres qui me valurent beaucoup de contacts avec le département des Antiquités orientales du Louvre. Puis vint « Le chevalier de Saint Jean d’Acre », histoire romancée de la troisième croisade, avec son affrontement courtois entre Philippe Auguste, Richard Cœur de Lion et Saladin, Saladin qui personnifiait à l’époque la tolérance religieuse et avait donné asile à beaucoup de Juifs chassés d’Espagne par les Almohades, dont le célèbre Maimonide…


J’ai alors découvert le jeu qui consiste, non seulement à voir les personnages acquérir leur autonomie, mais à les inscrire dans l’histoire, à les faire passer, si je peux m’exprimer ainsi, par le chas de l’aiguille qu’imposent les événements, jeu parfois compliqué qui tient un peu de celui du puzzle ou du détective. Le travail nécessaire pour construire mon intrigue s’en est trouvé considérablement augmenté, mais le plaisir aussi… Il m’a fallu alors prendre garde à ne pas me laisser engloutir par les milliers de pages qui ont tendance à envahir le paysage au détriment de la vie personnelle des personnages…. Ce furent des heures studieuses à la Bibliothèque nationale à consulter des manuscrits anciens au milieu d’érudits qui me considéraient légitimement comme un amateur. Et ce furent aussi des voyages au Moyen-Orient, en Asie centrale, des détours par d’autres bibliothèques parisiennes comme la Mazarine dont Pierre Faurre m’ouvrit les portes, et la recherche d’ouvrages plus ou moins disparus. Je me souviens de la traque d’un petit livre charmant intitulé « D’un château en Courlande à un presbytère nivernais » écrit par le descendant d’une grande famille de barons baltes passés au service de la Pologne. Que de ruses pour entrer finalement en possession de ce livre ! L’ambassade de Lettonie en France et quelques autres pourraient témoigner de mes tentatives infructueuses jusqu’au jour où… Mais cela va me permettre une transition vers mon dernier livre.


Car j’étais démangé depuis longtemps par l’envie de me pencher sur l’Europe du début du vingtième siècle, époque fertile en bouleversements comme peu d’autres, avec l’écroulement de ses traditions chevaleresques, ses délires idéologiques et la déspiritualisation progressive du continent.


Si nous nous penchons sur la première moitié du vingtième siècle, que voyons-nous en effet ?


L’excès de certitudes religieuses, patriotiques, voire nationalistes marque la belle époque, telle une étoile fatiguée, mais qui brûle encore. Relisons Stefan Zweig décrivant Vienne le jour de la déclaration de guerre :


« Une ville de 2 millions d’habitants éprouvait à cette heure le sentiment de participer à un moment qui ne reviendrait plus jamais, où chacun était appelé à jeter son moi infime dans une masse ardente pour s’y purifier de tout égoïsme. Toutes les distinctions de rang, de langues, de classes ou de religion étaient submergées par le sentiment débordant de la fraternité… »


La guerre de 1914 à ses débuts est en somme l’ultime avatar des traditions chevaleresque du Moyen-Âge, telle une géante rouge qui va s’effondrer sur elle-même. C’est le thème de « La grande illusion ». Car maintenant viennent la guerre à distance, la boue des tranchées et les gaz de combat. C’est Ernst von Salomon qui déclare :


« Nous étions enragés…Nous avions allumé un bûcher où il n’y avait pas que des objets inanimés qui brûlaient : nos espoirs, nos aspirations y brûlaient aussi, les lois de la bourgeoisie, les valeurs du monde civilisé, tout y brûlait avec les derniers vestiges du vocabulaire et de la croyance aux idées de ce temps… »


Sur ces décombres surgit alors le délire idéologique de l’entre-deux guerres : communisme et nazisme. Les valeurs spirituelles d’autrefois sont détournées et mises au service d’idéologies meurtrières : une manière de « supernova » idéologique explose :

« Le totalitarisme confisque les valeurs religieuses, il les vide de leur contenu et se recouvre de leur manteau… » (Octavio Paz)


Enfin, avec l’achèvement de la deuxième guerre mondiale, se produit l’effondrement des idéologies : immédiat pour le nazisme, différé pour le communisme, avec le « trou noir » dans lequel nous sommes encore. Une lumière sort-elle de ce trou noir là ? La question peut se poser… Force est de constater que la « gueule de bois idéologique » qui a suivi les excès de l’entre-deux guerres a laissé l’Europe dans un état de vide dangereux, face à des peuples ou des idéologies qui, eux, ne doutent de rien.


Oui, cette époque m’a fasciné et ce furent des milliers et des milliers de pages de lecture, des voyages en Russie, au Maroc, en Turquie et une longue composition, celle de « Tourmente et passion », qui m’a pris quatre années entières, avec une sortie en trois épisodes et à la fin un gros livre… J’en ai apporté quelques exemplaires, pris sur mon contingent personnel que je me propose de remettre à ceux que cela intéresserait avec en prime un petit jeu : je défie le lecteur de trouver une erreur historique à l’exception d’une seule, très modeste et que je suis seul à connaître, une déclaration qui n’est chronologiquement pas tout à fait à sa place. J’invite par avance à déjeuner celui qui la découvrira !


Et puis au bout du compte, je me suis aperçu que ce que j’avais voulu mettre en scène, au milieu de tous ces livres, c’était la naissance d’une conviction, celle de l’inexorable dérive au fil de l’histoire des diverses croyances humaines.


Cela, c’est un essai que j’ai intitulé « Chronique d’une catastrophe annoncée : Vers une nouvelle spiritualité ? », essai qui devrait voir le jour au tout début de 2004. J’y insiste sur les contradictions de l’être humain, le caractère relatif de ses convictions du moment, mais aussi sur la soif d’unité qui l’habite et la nécessité de lui offrir un support spirituel sans lequel il ne peut vivre en paix avec lui-même. Les grands « corps de bataille » spirituels d’autrefois sont-ils encore adaptés à notre époque ? Et surtout, peuvent-ils cohabiter en paix ? On peut en douter. Sujet exagérément sérieux, mais très actuel… De toute façon, il ne s’agit là bien sûr que de sentiments personnels, discutables par essence.


Conclusion


Revenons à notre question d’origine : le roman historique est-il une simple reconstitution « pour le plaisir « ou procède-t-il plutôt d’une démarche personnelle de l’auteur cherchant à approfondir des idées qui lui sont propres ?


Vous l’avez compris, la réponse est : un peu des deux évidemment, avec des degrés divers selon les personnes… Mais il est aussi profondément marqué par l’époque de sa conception. Restons donc simples et essayons de donner au lecteur matière à divertissement, et si possible aussi, à réflexion.


Au bout du compte et quoi qu’il arrive, il restera pour moi, ce que j’appellerai le plaisir de l’artisan, celui qui consiste à s’obliger avec toute la modestie possible au travail bien fait, dans le silence et la solitude. Et il me semble qu’en cela, j’ai rejoint la tradition polytechnicienne, celle qui veut que chacun, dans sa spécialité, œuvre avec honnêteté à remplir les missions qui lui ont été confiées, ou qu’il s’est attribué de son propre chef. A notre époque d’individualisme exacerbé, pour ne pas dire de cynisme, il me semble qu’il s’agit là d’un héritage qui mérite d’être conservé.

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