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Photo du rédacteurGilles Cosson

Souvenirs du COVID

1/ Craintes et espoir au Coronaland

 


On était en plein coronavirus. L’atmosphère était pesante. Dans la rue, personne, et ailleurs pas grand monde… Dehors parfois une sirène annonçant le chemin d’une réanimation. Pas gai !

Quand ce cauchemar allait-il finir ? Dans longtemps en tout cas et cela ne contribuait pas peu à l’énervement général. Pouvait-on vraiment vivre ainsi, plongé dans une torpeur obligée ? Il était possible d’en douter…

Et l’espoir dans ce magma ? L’espoir de quoi au fait ? Aller librement, retrouver les copains, prendre un ticket de cinéma, flâner dans les rues, aimer une inconnue ? Fermé tout cela, vous dis-je ! Plante-toi devant ta télé, appelle tes amis au téléphone, prend connaissance de nouvelles plus lugubres les unes que les autres… Sombre attente !

Pourtant, ce matin-là, un voisin imaginatif, né aux États-Unis, patrie de l’optimisme, avait eu une initiative sympathique : pourquoi ne pas chanter ensemble dans les rues, à bonne distance les uns des autres, bien sûr, mais chanter quand même : l’espoir vous dis-je… Il avait élu avec d’autres un air bien connu, avec des paroles de Michel Berger et France Gall au micro.

Donc il était sept heures du soir et les voisins s’étaient réunis sans y croire vraiment. Nous avions tous reçu les paroles et deux haut-parleurs énormes avaient été installés dehors.

Étrange atmosphère que celle d’une rue pleine de vide ; tous ces hommes et ces femmes, éloignés chacun d’au moins un mètre, s’observaient avec étonnement. Ce Monsieur en anorak, n’est-ce pas M. X…, gérant de l’épicerie voisine et cette dame en jupe, n’est-ce pas la pharmacienne du coin ? Mais oui, c’était eux ! Et cette figure féminine au beau visage qui m’a adressé un sourire, ne l’ai-je pas rencontrée souvent sur le chemin du métro ? Bien sûr que si ! Quel dommage de ne pas avoir fait l’effort de mieux la connaitre ?

Mais la sono démarre avec un bruit assourdissant. Et les paroles se suivent, répétées par des êtres qui oublient leurs peines :


Tant de libertés pour si peu de bonheur Est-ce que ça vaut la peine Si on veut t’amener à renier tes erreurs

Résiste !

Si tu réalises que l’amour n’est pas là Que le soir tu te couches Sans aucun rêve en toi

Résiste !


Une émotion étrange me prend : pourquoi chantent-ils ? Et nous qui ne chantons pas, pourquoi écoutons-nous ? Une affreuse tristesse m’envahit : c’est la romance au milieu des ruines, ce couplet. Mais n’est-ce pas aussi un cri d’espoir qui se fait entendre ? N’est-ce pas la meilleure façon de refuser la morosité, d’affirmer sa foi en l’avenir, comme l’ont affirmé autrefois tant de résistants ?

J’observe mes voisins. Ils ont un visage plein de bonheur. Est-il besoin de dire pourquoi ? Ils chantent parce qu’ils aiment la vie qui leur a été donnée, cela d’autant plus qu’ils assument le risque de leur disparition… Envers et contre tout, ils sont là et c’est ce qui compte. Les regards et les voix ne s’observent plus, ils convergent dans une communion inattendue. Non, nous refusons le découragement, nous sommes là pour croire dans l’avenir.

Divers voisins plus lointains montrent un bout de nez ; cette musique, cette gaité, d’où viennent-elles ? Comme elle nous fait du bien ! Comment avons-nous pu oublier la solidarité qui nous lie ? Ne sommes-nous pas tous des hommes, avec leurs peines et leurs joies, avec leurs folles espérances et leur aveuglement vertigineux ?

La sono s’arrête. Les gens s’observent avec un regard en coin ? Ont-ils changé ? Le temps d’une chanson imprévue et d’une réunion fraternelle, sans doute. Et demain, alors ?

Demain et quoi qu’il arrive, ce moment restera, avec sa fraternité inattendue et ce rayon lumineux passé au milieu de nous. Il faudra recommencer. Et merci à tous ceux qui sont venus se convaincre que la peur peut être vaincue, que la vie finit toujours par gagner, les enfants par grandir, les jeunes gens par tomber amoureux, les généreux par donner le peu qu’ils ont, les hommes d’argent par mourir comme les autres…`

N’est-ce pas cela l’idéal que nous portons en nous et qui triomphe si rarement.

Résistons !



2/ Solitude et égoïsme


Un appel inattendu


Tout dort en cette nuit de coronavirus. Abrutis pas des nouvelles plus catastrophiques les unes que les autres, chacun s’est replié sur un sommeil, naturel ou on. Car nombreux sont ceux qui, angoissés par un avenir incertain, s’en remettent aux anxiolytiques pour dormir.

Mais voici que la sonnerie du téléphone retentit. Un sursaut me réveille. Quelle heure peut-il bien être ? Dans la nuit noire, je tends la main vers l’appareil et décroche :

-Allo ?

-Je suis enfermé dans ma chambre…


La voix est vieille, la tonalité hésitante, les mots s’enchainent difficilement.


-Qui êtes-vous, Monsieur ?

-Je suis enfermé, je veux sortir.

-Mais où êtes-vous ?

-Je suis dans ma chambre, enfermé, rue Laval, vous connaissez ?


Là, je comprends : l’homme est un vieux pensionnaire de l’Ephad d’à côté. Pourquoi s’adresse-t-il à moi ?

– Mais, Monsieur, je ne peux rien pour vous. Il faut appeler quelqu’un.

– Oui, j’appelle, mais on ne me répond pas. Je veux sortir.

– Pour aller où ?

– Dehors. Dans les couloirs…

– Vous me connaissez ?

– Je ne sais pas. J’ai pris le téléphone et ça a sonné…


L’homme a fait un numéro au hasard et il est tombé sur moi. Pas de chance !


– Ne pouvez-vous pas demander une infirmière ?

– Pas d’infirmière. Je suis enfermé, Monsieur, tout seul


-Il doit bien y avoir une sonnette près de votre lit.


– Oui, j’ai appuyé dessus, mais personne ne vient.

La situation est terrible. Ce pauvre vieux perdu dans ses angoisses et en face moi, vieil égoïste, mécontent d’être réveillé dans mon premier sommeil…


– Désolé, mais je ne peux rien pour vous. Je vais devoir raccrocher

– Non, Monsieur, ne raccrochez pas, s’il vous plait. Vous savez, ma femme est morte il y a deux ans…


Le pauvre…

– Oui, ma femme est morte et je n’ai personne… Personne ne vient me voir.

– Pas d’enfant, d’amis ?

– Non, personne.

– Ne vous découragez pas. Il y a toujours de l’espoir.


J’ai honte de ce cliché. Mais que faire ?


– Oui, mais ma porte est fermée à clef et je ne peux pas sortir.

– Allons, je vais devoir vous dire au revoir.

– Attendez, Monsieur, attendez encore

– Dites-moi.

– J’ai perdu ma médaille et je ne sais plus où elle est

– De quoi parlez-vous ?

– Une médaille qui m’avait été donnée par ma femme

– Quelle médaille ?

– La Vierge-Marie, en or… ; Fatima …


La voici, dernier espoir des plus pauvres et des affligés. Puisse-t-elle réconforter ce malheureux.


– Vous allez la retrouver…


La Vierge ou la médaille ? Un instinct mauvais me saisit. Il est tard et j’en ai assez. La vie est déjà assez compliquée sans ce pauvre dérangé…


-Je vous quitte. Tachez de dormir !

-Vous me rappellerez, hein ?

-C’est ça, je vous rappellerai.


Je raccroche. Pauvres êtres-humains que nous sommes tous, raccrochés à des souvenirs en désordre … Qui sait, il a eu sans doute sa part autrefois : responsabilités, maitresses, enfants… Des espérances aussi, promotion, décorations, que sais-je ? Oui, des espérances sans laquelle la vie d’aujourd’hui apparait telle qu’elle est trop souvent pour beaucoup : vide d’espoir, de sens, d’humanité et de fraternité. Horreur !

J’allume et je regarde l’heure : minuit et demi. Ma tête tourne : angoisses, égoïsme et songes mêlés. J’espère qu’il ne va pas me rappeler…

Je me rendors, mais dans ma tête, l’appel continue. « Monsieur, Monsieur, ne me laissez pas ! »

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